En fait, comment ça marche un étirement ?
Aide à la relecture : Benjamin Heng, Anthony Halimi, Robin Vervaeke, Elsa Steinbach
Dans l’article précédent, Bryan Littre nous a présenté les différentes théories pouvant expliquer les gains obtenus par les diverses techniques d’étirement, en s’appuyant notamment sur les travaux de Moltubakk. Dans l’article du jour, on va regarder comment la littérature peut nous aider à trancher en faveur de l’une ou de l’autre. En conclusion, Bryan raconte comment la connaissance de ces données très théoriques a un réel impact sur sa pratique.
La meilleure chose à faire est si possible d’observer ce que disent les dernières revues systématiques sur le sujet. Cela tombe bien car une revue récente (de 2018) faite par Freitas et ses collaborateurs explore l’effet des étirements sur les paramètres évalués par l’équipe de Moltubakk.
Cette revue comporte 26 essais comparatifs , où l’intervention du groupe expérimental correspondait à des étirements (peu importe la modalité) de plus de deux semaines.
Certaines nuances sont à apporter afin d’obtenir une meilleure compréhension de cette revue :
De nombreux auteurs s’accordent pour dire qu’il y a une probabilité forte que l’effet des étirements soit également dépendant du groupe musculo-tendineux étudié et du temps de mise en œuvre du traitement.
Les outils de mesure de l’amplitude articulaire peuvent avoir une marge d’erreur non négligeable, certaines données provenant de l’élastographe ou de l’échographe sont parfois inutilisables et souvent les auteurs le signalent en expliquant pourquoi ils ont dû exclure certains patients.
Les modalités d’étirements (statique, balistique ou autre) varient également selon les études.
Les conclusions de l’équipe de Freitas suite à cette revue restent cohérentes avec les résultats des études menées par Moltubakk :
- On observe une augmentation de la tolérance à l’étirement au sein des populations que nous étirons
- L’angle de pennation des fascicules semble inchangé malgré l’augmentation d’amplitude articulaire
- La taille des fascicules en position anatomique semble inchangée après l’intervention
- Nous ne pouvons dire s’il existe une modification de la raideur du tissu tendineux après intervention. Elle augmente selon certaines études et diminue selon d’autres
- La résistance passive mesurée durant les mouvements ne semble pas modifiée.
Leur conclusion finale est la suivante : « Les interventions d’étirement d’une durée de 3 à 8 semaines ne semblent pas modifier les propriétés du muscle ou du tendon, bien qu’elles augmentent l’extensibilité et la tolérance à une force de traction supérieure. Les adaptations aux protocoles d’étirements chroniques de moins de 8 semaines semblent se produire principalement au niveau sensoriel. »
Cette conclusion semble se faire pour toutes les modalités d’étirements. De plus, les modalités analysées semblent plus contraignantes et intenses que des étirements qui pourraient être réalisés par nos patients lors de nos séances. Par conséquent, sans de nouvelles preuves (mais en faut il encore ?), nous ne pouvons pas à ce jour continuer à affirmer que les étirements semblent agir en allongeant la fibre musculaire, que l’amplitude articulaire se gagne grâce à une modification des fascias, à la modification du collagène, ou à des modifications macroscopiques de la morphologie ou de la propriété musculaire/tendineuse.
À noter, au sujet des fascias, qu’un excellent billet a été fait par Marco Gabutti. Il traite d’une autre croyance répandue (et que je partageais !) : il faudrait plus de 852kg afin de déformer le tissu du fascia plantaire. Ceci n’est pas plus correct que les idées reçues sur l’étirement et je vous laisse vous intéresser à ces travaux si ce sujet vous intéresse.
Yvan Sonjon avait également traduit une infographie de Physio meets Science sur le sujet, qui passe en revue les différentes choses que nous pouvons affirmer sur les fascias (les plus observateurs retrouveront la revue de Chaudhry, que critique pourtant l’article en lien au dessus. Les maths ont visiblement trompé tout le monde !) :
Si vous pensez que la limitation est liée aux ligaments ou à la capsule, sachez qu’il semblerait qu’il faudrait environ 683kg/cm3 de force afin que puisse apparaître une déformation plastique de la capsule de l’articulation gléno-humérale (Itoi et coll. 1996).
Je prends ces résultats avec des pincettes, car je n’ai pas les bases nécessaires en mathématiques et physique des matériaux permettant d’analyser en profondeur cet article, mais Marco pourra nous détromper si nécessaire!
Si vous voulez agir sur les tissus musculo-tendineux, d’après les données de la littérature il semblerait qu’il soit plus pertinent de réaliser des exercices physiques à haute intensité. Des études antérieures ont démontré une augmentation de synthèse intramusculaire de collagène en réponse à une charge (entraînement musculaire) (Miller et al., 2005 ; Holm et coll. 2010 ; Crameri et coll. 2004 ; Heinemeier et coll. 2007).
Quelques données existent et montrent que le renforcement musculaire augmente la longueur des fascicules musculaires :
- Pour le biceps fémoral avec exercice excentrique (Potier et coll. 2009)
- Pour le vaste latéral avec exercices de renforcement à haute vitesse (Sharifnezhad et coll.2014)
- Une meilleure augmentation de la longueur des fascicules lors d’un renforcement utilisant une grande amplitude de mouvement (McMahon et coll. 2014)
Les étirements ne semblent pas (ou très peu) agir sur la morphologie ou les capacités d’allongement du complexe muscle-tendon.
La théorie neurosensorielle en revanche, semble expliquer les modifications d’amplitude d’une jambe n’ayant subi aucune intervention. Cela pourrait sûrement passer par une augmentation du seuil de tolérance à l’étirement.
OK cool Bryan, mais as-tu des données en faveur de la théorie neurosensorielle ?
L’excellente étude de Støve et coll. 2019 est là pour illustrer cette théorie. Le but de leur étude contrôlée randomisée, a été d’analyser si un stimulus nociceptif pouvait permettre de modifier l’amplitude articulaire, et donc s’il pouvait y avoir un rôle de la modulation par inhibition endogène de la douleur (« endogenous pain inhibitory modulation ») sur l’amplitude articulaire de sujets sains.
- Au départ de l’étude, 2 groupes de 17 hommes ayant les mêmes caractéristiques sur tous les critères de jugements étudiés.
- Les deux groupes subissent le même protocole d’étirements des muscles ischio-jambiers
- Le groupe expérimental (pain group) devait immerger sa main dans de l’eau froide entre 1° et -4° C, après le protocole d’étirements, on appellera cette phase la phase froide.
- 3 mesures seront prises, avant le protocole d’étirement, juste après, puis après que le groupe expérimental ai plongé sa main dans de l’eau froide.
Ce qu’ils ont observé à travers l’analyse intra-groupe, un gain statistiquement significatif entre la deuxième mesure (post-étirements) et après la phase froide. Par contre, aucune différence n’est retrouvée pour le groupe contrôle. Une différence statistiquement significative a également été retrouvée concernant la résistance passive pour le groupe expérimental entre la deuxième mesure et la phase froide, alors que à nouveau, aucune différence n’est à observer pour le groupe contrôle.
Concernant la comparaison inter-groupe, on observe une différence statistiquement significative en faveur du groupe expérimental uniquement après la phase froide concernant l’amplitude articulaire disponible. Aucune autre différence sur les paramètres étudiés n’est à noter.
Les principales conclusions de cette étude montrent qu’en engageant l’inhibition endogène nociceptive après l’étirement, on obtient une différence statistiquement significative inter-groupe concernant l’augmentation de l’amplitude de mouvement de l’extension passive du genou et une modification intra-groupe sur la résistance passive mesurée en fin d’amplitude. Cependant nous n’observons pas de modification apparente de l’activité musculaire.
Bishop & George (2017) ont montré que l’amplitude du mouvement était associée à une sensibilité moyenne à la douleur ce qui indique que la perception sensorielle peut être un mécanisme important pendant l’étirement. Toutefois, ils n’ont pas été en mesure d’exclure d’éventuels changements au sein de l’activité musculaire en raison d’une absence d’électromyogramme. Les résultats actuels corroborent les constatations antérieures indiquant qu’une augmentation de la tolérance à l’étirement à la suite d’un étirement n’est pas liée à une réduction de l’activité musculaire, impliquant des mécanismes autres que les mécanismes intrinsèques liés aux propriétés mécaniques du complexe muscle-tendon.
Ces données peuvent impliquer que l’augmentation de l’amplitude passive sans douleur que l’on voit ici est liée à un déplacement vers le haut du seuil de tolérance à l’étirement. Les résultats actuels indiquent donc que la douleur perçue joue un rôle important dans l’amplitude des mouvements à la suite d’un étirement.
Du coup la balance penche clairement en faveur d’une adaptation du système nerveux que du système musculo-tendineux, sans pour autant valider toutes les idées de la théorie neurosensorielle. Nous serions plus dans une modification du seuil de tolérance à l’étirement que dans une modification du réflexe myotatique.
Si l’effet des étirements sur la performance sportive ou autre vous intéresse je vous recommande l’excellent billet de Paul Ingraham, qui résume l’effet réel ou non des étirements ; leur inefficacité comme intervention préventive contre les blessures, leur impact négatif ou nul sur la performance sportive, comme le fait que certains muscles que les gens s’obstinent à vouloir étirer ne le sont anatomiquement pas …
Ainsi si vous aimez vous étirer, continuer de le faire, en tant qu’élément de votre routine d’exercice par exemple ! Mais ne passez peut-être pas un temps excessivement long sur ces manœuvres si votre activité physique ne vous le demande pas, en tout cas pas au détriment des exercices de renforcement. Les exercices de renforcement sont importants pour préparer le corps au sport et à l’activité, et sont plus efficaces que les étirements pour réduire les risques de blessures.
J’espère que ce travail permettra à quelques étudiants ou diplômés de questionner leurs savoirs et surtout les théories qui sous-tendent certaines thérapies (Trigger Point, Thérapie Manuelle, Magnétisme, Dry Needling, Tape, Acupuncture, Massage, Exercices, Éducation aux neurosciences de la douleur …).
Pourquoi est-ce important de réfléchir sur les théories qui sous-tendent nos pratiques ? Voici un exemple de discussion que j’ai eu avec certains de mes étudiants sur la justification de deux pratiques j’utilise en priorité au cabinet, que sont l’éducation et l’exercice physique.
Beaucoup de mes étudiants pensaient que l’éducation avait surtout pour but de diminuer la douleur des gens. Cependant, un de mes stagiaires, en parlant avec un de mes patients en fin de soin, a pu voir l’intérêt pour le patient d’avoir une information claire sur son problème ainsi que des connaissances en neurosciences de la douleur : cela avait aidé concrètement ce patient à relativiser et supprimer les émotions négatives liées à ses douleurs (catastrophisme, anxiété, kinésiophobie), lui permettant de se prendre en main en comprenant mieux les situations qui pouvaient déclencher ses symptômes. Même s’il avait aussi mal parfois, il ne ressentait plus la crainte liée à sa douleur, cela avait amélioré la relation thérapeutique, et lui avait permis de fixer des objectifs cohérents en lien avec sa situation.
Ce patient faisant 1,95 m et 90 kg, j’ai aussi posé la question à ce stagiaire : « pour quelle raison penses-tu que j’ai fait faire des exercices à Mr B ? »
Selon mon stagiaire c’était pour :
- Gagner en force
- Gain en stabilité
- Améliorer le « Contrôle Moteur »
Voici la liste de réponses que j’ai pu lui donner sur ce qui selon moi justifiait de réaliser des exercices chez ce patient, patient qui avait des abdos saillants, qui allait à la salle de musculation quotidiennement et avait une musculature plus importante que beaucoup de sportifs de haut niveau :
- Lutter contre la kinésiophobie et l’anxiété en montrant au patient qu’il pouvait réaliser des tâches complexes qu’il n’osait pas réaliser
- Aider à désensibiliser le système nerveux (grâce à l’EIH : Exercice induce hypoalgesia)
- Optimiser la cicatrisation ou la capacité d’absorber des contraintes pour un tissu grâce à l’aide de la mécano-transduction
- Donner au patient de nouvelles options afin de réaliser les mouvements
- Améliorer les capacités cardio-vasculaires
- Lutter contre le déconditionnement
- En antalgie, car au sein de la littérature scientifique, c’est l’un des traitements les plus efficaces sur la douleur. Ce patient n’avait ni un problème de force, ni de contrôle moteur (D’ailleurs, qu’est-ce que c’est un trouble de contrôle moteur ?) ni un problème de stabilité. Du coup, pensez-vous qu’il aurait-été pertinent de mettre dans la tête du patient qu’il était instable ou pas assez fort ?
Certains diront que ce n’est pas utile d’aller aussi loin dans les détails, mais selon moi cela permet de pouvoir transmettre des connaissances les plus proches du réel, et avec le moins de croyances possibles. Cela permet de nous professionnaliser.
J’espère que ce billet vous a appris quelque chose, vous a intéressés et surtout, restez critiques.
Bibliographie :
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7 Commentaires
fan2Halimi
salut très bon article merci de faire ce genre de synthèse c’est top pour améliorer sa pratique et la compréhension de notre taf
j’ai juste remarqué une petite coquille (vraiment pas grave): quand tu cite l’article de Itoi et ses collaborateurs, il a été publié en 1996 et non 1993 comme indiqué
encore merci pour ton travail
Anthony HALIMI
Merci beaucoup, c’est corrigé et du coup c’est encore mieux comme ça. Bonne juournée 🙂
Mathieu
Merci pour ce superbe billet qui remet en cause certaines croyances personelles et me donne hâte de reprendre mes séances avec un regard nouveau.
Sauriez vous ou je pourrais me diriger pour en apprendre un peu plus concernant :
L’imagerie motrice et les neuro science de la douleur ?
Merci par avance ! 🙂
Anthony HALIMI
Pour l’imagerie motrice, nous n’avons pas de ressources précises à conseiller, il existe quelques livres à ce sujet mais nous ne saurions vous en conseiller un supérieur à un autre. Les livres d’hypnose pourraient peut-être également vous convenir.
Concernant les neurosciences de la douleur, si c’est vraiment la physiologique qui vous intéresse, nous pourrions vous conseiller l’e-learning de Laurent FABRE sur le site du CFPCO.
Pour d’autres ressources le livre Explain Pain Supercharged détaillent des notions très compliquées avec de très bons outils éducatifs qui permettent de comprendre aisément cela. Si toutefois vous cherchez quelque chose de plus exhaustif, le livre « The Textbook of Pain » reste la référence absolue en termes de neurosciences de la douleur et nociception.
Mathieu
Question : Du coup question perso par rapport à ma pratique sportive ( Arts martiaux) pour gagner en souplesse au niveau des ischios, vous pensez donc qu’il serait plus intéressant d’allier imagerie et renforcement des ischios en excentrique plutôt que de pratiquer des assouplissements ?
Car la je stagne sévèrement 😉
Merci encore pour ce super article.
Pierre
En lisant ce billet, je n’arrive même pas a voir quels bénéfices apportent les étirements ?
Bryan LITTRE
Salut Pierre, tout d’abord merci d’avoir lu ce papier jusqu’au bout et effectivement ce billet ne traite pas de bénéfices, de risques ou d’une quelconque utilité clinique mais bien des effets pouvant sous tendre une modification de l’amplitude articulaire après des étirements.
Pour répondre à ta question, dans le dernier paragraphe du deuxième billet il y a ce lien : https://www.painscience.com/articles/stretching.php
Où Paul Ingraham a effectué une analyse de la littérature sur les effets réels ou imagés des étirements sur un grand nombre de critères.
J’espère avoir répondu à ta question, n’hésites pas si tu en a d’autres.