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En avril 2018, quelques mois après le #JeffersonCurlChallenge, Greg Lehman revient sur l’épineuse question de la flexion lombaire. Nous avons donné pendant longtemps à nos patients consigne de l’éviter, mais était-ce un conseil utile ? Greg nous emmène faire un petit tour dans la littérature biomécanique, un petit peu plus loin que la fois d’avant… 

Je vous souhaite une bonne lecture. 

Benjamin

 

Ça claque comme titre non ?

Un des soucis principaux pour les coachs sportifs, les kinésithérapeutes, et les autres professionnels de santé, est d’enseigner aux gens de NE PAS fléchir leur colonne quand ils soulèvent des choses. Il est admis que la flexion lombaire est un facteur de risque indépendant pour la douleur et les blessures du dos. Pour une information détaillée, nous vous renvoyons à notre première traduction de cette série.

Le but de ce court article est de considérer les ramifications potentielles des modèles cadavériques animaliers qui creusent la question de la charge lombaire, et le mécanisme de blessures qui en résulte, puis de voir comment cela peut s’appliquer dans notre pratique clinique.

Les données

Un des meilleur arguments contre la flexion lombaire est la quantité d’études in-vitro (c’est-à-dire sur des animaux morts) qui examinent ce qui se passe quand on tord et que l’on charge un disque ou un segment mobile de façon répétée. De nombreuses études (ici,, et encore ici) ont montré que la mise en charge d’un segment mobile, quand il est au-delà de la zone neutre, semble plus dangereux pour le disque que si la même charge est appliquée en zone neutre, justement.

Ainsi, si vous êtes un biomécanicien, cela semble être une évidence que de recommander l’éviction de la flexion en prévention de la lombalgie : essayer de garder la colonne dans une position neutre quand on la met en charge. Mais il y a plusieurs problèmes…

  1. Ce conseil n’a pas l’air de marcher. Nous l’avons donné pendant des années, et la lombalgie est toujours un problème aussi fréquent. Vous pouvez regarder aussi ici une analyse bioméanique du stoop par rapport au squat.
  2. Beaucoup rétorqueraient que ces colonnes vertébrales étaient MORTES. Elles ne peuvent pas s’adapter comme le feraient des colonnes d’êtres humains bien vivants. C’est comme si on prenait des tendons de vaches mortes, qu’on tirait dessus de façon répétée : les tendons finiraient par péter, et absolument personne ne viendrait dire qu’il faut éviter de charger les tendons ! Personne ne dit ça d’ailleurs : on les met en charge avec la dose adaptée pour qu’ils s’adaptent.

Nous devons maintenant avoir une réaction professionnelle basée sur ces arguments. Ceux qui défient la sagesse populaire qui dit d’éviter la flexion lombaire prétendent que ça n’a pas d’importance vis-à-vis de la douleur et des risques de blessures. Beaucoup disent qu’on devrait ignorer ces donnés in-vitro parce qu’elles sont biaisées. Je n’irais pas aussi loin, mais j’ai envie de présenter une autre façon d’interpréter ces études.

PLUS DE DONNÉES : deux observations d’un large corpus de littérature

Observation #1 : les modèles in-vitro ne parlent pas de la fin d’amplitude

Dans les études sur modèle animal, la colonne est pliée à des degrés divers. Certaines études suggèrent que la flexion limite est juste à la fin de la zone neutre, ce qui représente environ 35% de la flexion maximale (Gooyers et al 20015, Callaghan & Mc Gill 2001) et d’autres études suggèrent que c’est plus (ça n’est pas dit explicitement, mais cela semble être autour des 60/70% de l’amplitude maximale pour Wade et al).

Observation #2:la flexion lombaire est inévitable quand on soulève du poids, en se penchant comme en squat !

On mesure classiquement la flexion lombaire comme étant la différence de flexion entre le sacrum et L1, avec des appareillages attachés à la peau au-dessus de ces articulations. De nombreuses études ont montré que, même des personnes qui tentent de maintenir une position neutre ou une lordose lombaire font beaucoup de flexion (en général plus de 20 degrés, ce qui est souvent plus de 40% de la flexion maximale). Quelques exemples :

  1. Les Kettlebells swing se font en moyenne avec 26° de flexion
  2. Les Good Mornings se réalisent entre 25 et 27° de flexion.
  3. Les squats et les soulevés de terre se font avec 50% et 80% de la flexion maximale (respectivement) d’après une étude de Scotty Butcher.
  4. Les postures ergonomiques de port de charge n’évitent pas 30° de flexion quand le tronc est penché de 65° en avant. Même quand les personnes tentent de ne pas fléchir, elles fléchissent !
  5. Laura Holder (2013) montre exactement la même chose que Arjmand 2005. Jetez un œil à la photo pour voir comme cela a l’air d’être une position neutre tout en étant une belle flexion.

Du coup, quel-est mon point de vue ?

Ok, c’est parti. Les études in-vitro ne montrent pas que seule la fin d’amplitude de flexion est dangereuse. La plupart se contentent de sortir de la zone neutre (qui est définie différemment suivant les études). 30% du maximum de flexion semble être suffisant pour léser un disque (note : il est difficile de donner une réponse définitive pour ça puisque les chiffres donnés le sont en valeur absolue de la flexion maximale d’un segment mobile, et non de l’amplitude max de la colonne). Pour la colonne, cela semble être autour de 15-18° pour l’ensemble du mouvement lombaire.

Ce qui est très intéressant à mes yeux, c’est qu’il semble impossible d’éviter cette quantité de flexion. Ça veut dire que les gens vont régulièrement faire un beau squat avec 50% de leur flexion maximale ou envoyer un superbe Kettlebell swing et en faire tout autant. Faire un soulever de terre ou ramasser un objet au sol nous fait faire encore plus de flexion (autour de 80% du max d’après le travail de Scotty). Regardez la photo au-dessus : on dirait que la modèle est en position neutre, sans flexion et elle en a déjà 22° !

Mon point de vue : les deux camps pourraient avoir raison.

Ce que je veux dire, c’est que les modèles in-vitro pourraient bien être valides. La flexion lombaire pourrait être un facteur de risque pour les disques. Mais, ça pourrait bien être peu utile de se prendre la tête avec ça, parce qu’il est impossible de l’éviter et accrochez-vous… Les dégénérescences discales sont absolument normales, inévitables (une part de la condition humaine en somme) et sont peu corrélées à la douleur. Cela veut dire que quand on s’inquiète pour nos disques à cause des douleurs que cela pourrait provoquer, on s’inquiète pour une simple petite goutte dans le verre d’eau de la douleur (pas insignifiant, mais juste quelques brindilles de petit bois si la douleur est vue comme un feu de camp). Du coup, je préfère ne pas m’inquiéter de cette petite goutte, et je préfère me préoccuper d’autres facteurs qui semblent avoir bien plus d’importance.

Usages pratiques ou potentiels pour votre cabinet, avec des gros morceaux d’opinion personnelle.

  1. Modification des symptômes : si la flexion lombaire fait mal, vous pouvez sûrement changer ça un petit peu. Laissez les symptômes vous guider quand vous bougez de temps en temps. L’évitement temporaire peut être la bonne réponse pour certaines personnes certaines fois (je dirais aussi que c’est parfois la mauvaise solution pour certains et qu’ils doivent s’y confronter, mais ça sera pour un autre billet).
  2. Utilisez d’autres facteurs/d’autres objectifs quand vous prenez vos décisions cliniques. Exploitez la biomécanique pour des besoins de performances [ndt : j’utilise souvent le soulever de terre et ses excellentes performances pour convaincre les patients qu’ils peuvent gérer des charges très lourdes], pour déplacer le stress mécaniques sur d’autres articulations ou muscles, ou travailler un autre mouvement suivant vos objectifs.
  3. Suivez des principes d’entraînement adaptés lorsque vous travaillez la flexion lombaire. N’en faites pas trop, trop tôt !
  4. Ne vous faîtes peut-être pas autant de mauvais sang à propos de la flexion lombaire. Admettez qu’il s’agit d’un mouvement normal, et que d’autres variables ont probablement beaucoup plus d’importance dans le cadre de la douleur.
  5. Peut-être peut-on éviter de charger lourdement la colonne en fin de flexion lombaire ? Pas forcément parce que la recherche sur la colonne nous le déconseille, mais parce qu’on ne le ferait pas non plus sur d’autres articulations.
  6. Encore une fois, comme pour toutes les articulations, peut-être devrions nous varier notre posture pour certaines tâches. En effet, si la gestion de la charge est importante, peut-être que se pencher, soulever, porter, squatter, ramer etc… Dans un grand nombre de positions différentes, est la meilleure façon de gérer l’application du stress mécanique aux différentes structures, en leur laissant le temps de se reposer et de récupérer. Ainsi, avoir une bonne qualité de mouvement veut peut-être simplement dire bouger comme on le sent. Et peut être que la quantité d’entraînement a plus d’intérêt que le travail du contrôle moteur.

Je sais que ce sont des points intéressants parce que des personnes d’opinions contraires seront d’accord avec certains et en désaccord avec d’autres: personne ne devrait être pleinement satisfait !

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