Aide à la relecture et remerciements à : Joshua Lavallée, Théo Chaumeil, Robin Vervaeke, Benjamin Heng
–
Dans cet article, qui fait suite aux deux premiers[1][2], nous nous concentrerons un peu plus sur les patients. Nous allons analyser deux publications qui peuvent nous aider à comprendre l’attitude à adopter lorsque l’on découvre un drapeau rouge. La question suivante sera également abordée « Faut-il réagir de la même manière avec tous les drapeaux rouges ? »
Nous détaillerons également la fréquence avec laquelle les drapeaux rouges ainsi que les pathologies malignes apparaissent dans nos cabinets.
Voici une étude qui met en exergue la prévalence et le dépistage des pathologies sévères rachidiennes lors d’une consultation en accès direct dans le cas d’une lombalgie aigue [Nicholas Henschke et al. 2009]. Il en ressort plusieurs éléments intéressants :
- Sur 1172 patients seulement 11 cas (soit 0,9%) s’avèrent avoir une pathologie sévère et donc nécessitant une prise en charge médicale.
- Sur les 11 cas, 8 étaient des fractures (soit 72,7%).
- Malgré une faible prévalence de pathologies sévères du rachis, 80,4% des patients avaient au moins 1 drapeau rouge.
- Les cliniciens ont identifié 5 des 11 cas pathologiques graves et ont effectué 6 diagnostics de faux positifs.
Nous pouvons en conclure que :
- le motif de consultation des patients en première intention, dans le cas de lombalgie aigue, est rarement une pathologie grave (probabilité inférieure à 1%).
- l’apparition d’un seul drapeau rouge n’est parfois pas suffisante pour valider une hypothèse de pathologie grave.
- un clinicien ou thérapeute quel qu’il soit peut être soumis à des erreurs et des biais ne lui permettant pas d’avoir la certitude dans ses choix.
Un élément de cette étude peut sembler troublant. Plus des ¾ des patients avaient au moins un drapeau rouge alors que moins d’1% s’étaient révélés avoir une pathologie grave. La publication que nous allons analyser maintenant étudie justement ce détail dans le cas des lombalgies. Quelle importance donner à un drapeau rouge et à partir de quel moment il peut servir d’indicateur afin de réorienter le patient ?
Cette publication aborde plusieurs problématiques :
- Les tests cliniques destinés à identifier un drapeau rouge lors du bilan d’une lombalgie ont pour la plupart des RV avec des faibles résultats (RV+ < 5 et RV- > 0,2). Il a notamment été soulevé qu’encore trop de patients se sont avérés positifs à un drapeau rouge et ont été envoyés de manière injustifiée en radiologie alors qu’ils n’avaient pas de pathologie maligne.
- La variabilité des définitions des symptômes et la faible prévalence de pathologies graves au sein de la population requiert un échantillon important pour mener des études sur le sujet.
- Les lignes directrices (guidelines) de prise en charge des lombalgies recommandent à ceux qui présentent des drapeaux rouges suggérés de subir des tests de diagnostic plus étendus, coûteux et potentiellement dangereux. Les tests diagnostiques extensifs ont tendance à entraîner des coûts plus élevés et un traitement excessif susceptibles de susciter des craintes inutiles et à susciter des inquiétudes chez le patient. Cependant l’ensemble de ces lignes directrices ne s’accordent pas afin de définir le même ensemble de drapeaux rouges pour remplir les conditions qui emmèneront le clinicien à la réorientation du patient. Le manque de cohérence ne fournit pas à ce dernier un ensemble stable de «règles» à suivre pour effectuer un test de dépistage adéquat pour les patients, ce qui nuit aux bonnes pratiques. En outre, bien que les cliniciens définissent généralement des drapeaux rouges pour les maux de dos conformément aux lignes directrices, il y a peu de consensus sur la cohérence de l’investigation et le signalement des drapeaux rouges.
- Le dépistage médical est un processus au cours duquel une maladie ou une affection est évaluée chez une population asymptomatique qui peut ou non présenter une maladie précoce ou des précurseurs de maladie. Les résultats des tests sont ensuite utilisés pour déterminer si un test de diagnostic doit ou non être proposé. Le dépistage médical est généralement effectué dans la phase préclinique d’une affection, une période pendant laquelle il n’y a aucun symptôme extérieur. Les tests de dépistage bénéfiques permettent d’identifier les résultats caractéristiques d’une pathologie grave au cours de la phase préclinique. En revanche, les tests de diagnostic impliquent des tests cliniques conçus pour faciliter le diagnostic, la détection d’une maladie ou encore un état présumé lorsque des symptômes existent. Dans un schéma diagnostique idéal, les symptômes aident à guider l’identification de la pathologie sous-jacente. Dans le cas de la lombalgie, les symptômes n’offrent que peu ou pas d’informations sur la détection de la pathologie sous-jacente.
La publication conclue que :
- Le dépistage nécessite la phase préclinique d’une affection, une période pendant laquelle il n’y a aucun symptôme extérieur. En tant que tel, le dépistage par le drapeau rouge de la lombalgie est en fait une stratégie de gestion qui ne comporte pas de méthodologie de dépistage.
- Les tests cliniques pour les drapeaux rouges ne présentent pas de RV- faibles (≤ 0,2), ce qui suggère qu’ils ne parviennent pas à exclure un drapeau rouge lorsqu’une conclusion négative est présente avec le test.
- Les résultats des drapeaux rouges sont plus étroitement liés au pronostic qu’à des pathologies graves telles que le cancer, les fractures, etc.
- Bien que la pratique clinique nécessite la recherche des drapeaux rouges dans le cadre des lombalgies, peu d’éléments indiquent lesquels sont utiles pour la pratique clinique.
Il faut donc (dans le cas des lombalgies) ne pas s’alarmer systématiquement lorsque l’on retrouve un drapeau rouge chez un patient, surtout si ce dernier est âgé [Prevalence and “Red Flags” Regarding Specified Causes of Back Pain in Older Adults Presenting in General Practice; Enthoven et al; 2016]. C’est ce que nous avons abordé auparavant avec la notion de drapeaux rouges non spécifiques.
En dépit du manque d’études sur le sujet, statistiquement dans les pays où les physiothérapeutes ont l’accès direct, on estime à environ 1% le taux de pathologies graves qui se cachent derrière le motif de consultation initial des patients, qu’ils soient référés ou non par un médecin.
On estime que ce chiffre de 1% serait plus élevé si les thérapeutes effectuaient un triage systématique chez les patients en première intention ou non. Une revue systématique de 78 cas de références à des physiothérapeutes pour le renvoi de patients vers les médecins avec un diagnostic subséquent d’un état pathologique a révélé que 20% des renvois concernaient d’autres problèmes. Les kinésithérapeutes impliqués dans les cas effectuaient régulièrement des examens de triage, que le patient ait ou non été référé au kinésithérapeute par un médecin. [Physical Therapists Referring Patients to Physicians: A Review; Boissonnault; 2012]
Malgré le manque d’études, nous avons pu voir à travers ces 3 articles qu’il semble important d’être formé et de se tenir au fait des connaissances scientifiques en évolution constante sur le triage mais aussi de le pratiquer régulièrement chez les patients, qu’ils consultent en première intention ou sous prescription médicale. Il semble bénéfique de pouvoir dépister plus de cas à réorienter ainsi que d’améliorer le suivi pronostic du patient lors de ses séances chez le kinésithérapeute. Cependant, il faut rester conscient que du travail est encore à fournir afin d’améliorer les critères permettant de réorienter les patients en cas de besoin. L’enjeu est à la fois du domaine de la santé publique, pour une meilleure prise en charge des patients, du domaine politique et économique car les standards actuels et les examens paracliniques sont couteux, parfois dangereux et peuvent être anxiogènes, ce qui peut aggraver le pronostic d’un patient. En cas de doute, il sera toujours plus prudent de réorienter le patient en cas de besoin, en parallèle ou non des soins kinésithérapeutiques.
Yvan SONJON
Bibliographie :
Primary Care for the Physical Therapist: Examination and Triage ; W. Boissonnault ; 2010
Examen clinique de l’appareil locomoteur ; Joshua Cleland, Shane Koppenhaver ; Elsevier Masson 2012
Differential diagnosis for physical therapist ; Catherine Cavallaro Goodman, Teresa E. Kelly Sidner ; Elsevier 2103
Orthopedic Physical Examination Tests: An Evidence-based Approach ; Chad E. Cook ; Pearson 2011
Clinical Reasonning ; Beate Klemme, Gaby Siegmann ; Thieme Verlag 2015
Screening in der Physiotherapie ; Kerstin Lüdtke, Lucia Grauel, Daniela Laube ; Thieme Verlag 2015
Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles ; N. Pinsault & R. Monvoisin ; 2014
Medical Screening for the Orthopedic Physical Therapist ; Ed Mullingan ; Southwestern Medical Center
Red Flags : To screen or not screen ; Michael D. Ross, William G. Boissonnault ; JOSPT 2010
Medical Screening for Red Flags in the diagnosis and Management of Musculoskeletal Spine Pain ; Philip S. Sizer ; 2007
Laisser un commentaire